Léon…de Locoal-Mendon…

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Nous sommes encore pendant la « drôle de guerre », l’allemand est absent, voici Léon RICHARD de Locoal-Mendon, en permission, qui vient renouveler son abonnement, les journalistes sont manifestement « en mal de papier » et au vu de sa magnifique canne ils en font un article pour faire de notre Léon un héros « d’un quart ‘heure » comme on dit un peu méchamment aujourd’hui. Bonne lecture.

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L’Ouest Républicain du 18 février 1940

Un talent révélé par la guerre 

L’oeuvre remarquable d’un jeune cultivateur de Locoal – Mendon 

La vie du Front est une vie rude, pénible et dangereuse ; nous savons le courage et l’énergie qu’il faut à ceux gui ont tout abandonné pour la défense du pays ; nous leur devons un tribut d’admiration, et la grandeur de leur renoncement entraîne, pour nous, l’obligation de nous soumettre a certains sacrifices, qui sont bien peu de chose auprès de ceux qu’ils ont acceptés. 

Leur renoncement ?… Il est plus complet encore qu’on ne peut l’imaginer lorsqu’on a conservé une existence normale. Il n’est pas une seule joie de la vie qui ne leur soit refusée, et, pour eux, les heures mornes de l’inaction succèdent aux tâches harassantes, sans que jamais ils puissent dire : maintenant, je suis tranquille I Car la mort, elle ne désarme pas : elle est dans le silence, dans le calme, dans la nuit; elle frappe avec une rage aveugle et nul ne peut avoir la certitude d’échapper à ses coups. ‘L’ennui est, pour nos poilus, un ennui redoutable. C’est pourquoi un organisme désormais officiel s’attache, avec le concours des générosités privées qui doivent plus que jamais se manifester, à leur fournir les moyens de se distraire. 

Il en est et ceux-là sont, en quelque sorte des privilégiés qui ont trouvé, dans leur habileté manuelle ou leur goût de la bricole, le moyen d’occuper les heures interminables pendant lesquelles ils sont voués à l’inaction. C’est ainsi que l’on voit se multiplier, dans la zone des Armées, ces travaux qui témoignent de l’ingéniosité, de la patience et de l’adresse de nos soldats. Il arrive même que ces travaux révèlent des dons artistiques exceptionnels. 

Nous n’en voulons pour preuve que l’oeuvre absolument remarquable d’un jeune Morbihannais dont nous avons eu récemment la visite. Un sergent du génie ‘ »Un coup discret à la porte de notre rédaction, où s’encadre bientôt une haute silhouette vêtue de kaki… « Sergent Léon Richard, du X° Génie… Un de vos abonnés l » Une solide poignée de main a, tout de suite, brisé la glace. Le sergent Richard vient se renseigner sur la façon la plus simple de renouveler son abonnement, qui doit arriver à expiration lorsqu’il sera… là-haut. 

Dans sa figure jeune, expressive, et dont un collier de barbe souligne l’ovale, les yeux semblent constamment sourire. Nous bavardons à bâtons rompus, cependant que notre visiteur joue distraitement avec une canne qui a immédiatement attiré nos regards. Nous apprenons ainsi que le sergent Richard se trouve du côté de la Moselle, et que, « dans le civil », il est cultivateur et entrepreneur de battage à Locoal-Mendon. 

Une canne qui ne saurait passer inaperçue 

Mais, depuis le début de l’entretien, une question nous brûle les lèvres, et il nous parait impossible de laisser partir le sergent Richard sans satisfaire notre curiosité. Vous avez là une canne bien originale… Vous permettez ?… Mais certainement 1… Et notre visiteur pose, sur le bureau, l’objet de notre attention, attention qui ne fait que croître à l’examen de ce petit chef-d’oeuvre. Sous le pommeau, qui représente une tête de poilu, deux dates sont sculptées, dont l’une est inachevée : 1939-194… On lit de même : Démobilisé le…, puis une inscription en breton : Breiz berpet (Breton toujours). Du haut de la canne partent deux serpents entrelacés, entre les anneaux desquels se dressent fièrement la cathédrale de Strasbourg et le coq gaulois, perché sur un casque à pointe surmontant la devise: « On ne passe pas !… » Un peu plus bas, la cigogne symbolique survole un village alsacien. A égale distance entre le pommeau et l’autre extrémité, l’artiste a sculpté une plaque d’identité qui porte les nom, prénom et adresse du sergent Richard, ainsi que sa classe : 1920. L’ensemble, verni au pinceau, témoigne d’une rare maîtrise et de qualités artistiques exceptionnelles. 

Coup d’essai… Voilà, si Je ne me trompe, une canne qui doit passer difficilement inaperçue ? Vous ne vous trompez pas, répond le sergent Richard avec bonne humeur. Elle m’a même fait remarquer au cours de mon passage à Paris, et m’a valu maintes demandes d’explications… Est-ce que, par hasard, ce serait votre oeuvre ? Mais oui : je suis le modeste artisan de ce travail. Notre interlocuteur. no semble guère désirer que l’on insiste sur ses mérites. 

Il ne peut cependant nous cacher que la canne a été sculptée entièrement au couteau dans une branche d’érable ; et comme nous lui faisons observer qu’il s’agit là d’un travail considérable, il réplique très simplement : Oh ! vous savez, je l’ai commencée fin octobre et je l’ai terminée au début de janvier. Rien ne nous presse, là-haut. Je me mettais à l’oeuvre pendant les moments d’inaction, et à en juger approximativement, je ne dois pas avoir totalisé plus de 300 heures de boulot. C’était une distraction !… 

Vous aviez certainement, avant la guerre, réalisé d’autres travaux de ce genre ?… 

Pas le moins du monde. A cette époque, je ne disposais pas de tellement de loisirs que j’aie songé à les utiliser de cette façon. J’avais, vous le comprendrez sans peine, « d’autres chats à fouetter ». La-bas, c’est tellement différent !… Ainsi, cette oeuvre qui a nécessité tant de patience et d’adresse ; cette oeuvre qui révèle des dons artistiques mis au service d’une rare habileté, est une oeuvre de débutant, un coup d’essai. 

Notre surprise est telle que nous ne trouvons, pour féliciter le sergent Richard, que cette phrase, d’une désespérante banalité : 

– Avouez que pour un coup d’essai, c’est un coup de maître ..

– Je n’avoue rien du tout, réplique notre cultivateur en uniforme, dont le regard pétille maintenant de malice. Mais je me sauve l II faut que je rentre à Mendon ce soir ! Une dernière poignée de main, et la haute silhouette bien, découplée se profile de nouveau dans l’encadrement de la porte, cependant que la salle de rédaction retentit d’un « Au revoir  joyeux et franc !..,