En lisant « Deux étrangers » au Cap Sizun de René Robin, instituteur à Plogoff [1946/1955] ces deux petites incursions de l’instituteur d’alors à l’île de Sein:
« …Une autre fois, j’entendis bêler dans la cour de l’école. On frappa à la porte de la classe où j’étais le plus souvent, près du portail donnant sur la rue. Entra un étrange personnage d’une trentaine d’années, chevelu, barbu, vêtu d’une grande pèlerine noire. Il ne dit même pas bonjour mais simplement: « Où est le bouc? ». Je crus avoir affaire à un fou et j’alertai le collègue de la classe voisine qui me rassura. C’était l’instituteur de l’école de Sein qui n’avait d’autre possibilité pour allaiter son bébé que d’avoir une chèvre. La petite chevrette attachée à l’un des piliers du préau était en chaleur. Voilà…c’était tout simple. Il n’y avait pas de bouc à Sein: par certains vents, il aurait empesté l’île entière. Je m’inquiétai: « Mais …ses élèves? »… » Sa femme les garde tout simplement« . Il faut de la souplesse à Sein… »
……
[…après une visite au phare de la Vieille avec le directeur de son école, soirée à l’île…où nous retrouvons notre instituteur…]
« …Il était prévu que nous passerions la nuit à Sein. Avant de rejoindre notre auberge pour le dîner, nous nous devions de rendre visite à notre collègue. Il habitait l’école dans trois pièces sinistres, surtout meublées de caisses d’emballage en bois superposées ou placées les unes contre les autres. Son épouse avait mis à chaque caisse des rideaux en Vichy à petits carreaux rouge et blanc. J’en avais le cœur serré. Le seul luxe était le lit de leur enfant: un joli petit bateau sculpté au couteau. Cependant, grâce à une éolienne, il était le seul îlien à s’éclairer à l’électricité. Cette éolienne avait son histoire. Elle avait été offerte, au lendemain de la guerre, par les autorités académiques du Finistère qui, à trois, l’avaient convoyée à Sein. L’instituteur avait préparé un repas à leur attention. Le menu le rendit célèbre:
Hors d’oeuvre: Langoustes
Plat principal: Langoustes
Dessert: Langoustes
Le pauvre, c’est ce qu’il avait trouvé de meilleur dans une île qui sortait de quatre ans de famine (tous les hommes avaient gagné l’Angleterre dès 1940 laissant leurs 600 femmes se débrouiller dans une île occupée par les allemands).
Il n’était pas bavard. Il ne s’anima que pour nous parler avec fureur des tours que lui jouait le « noir » (le curé). Sa femme se plaignit que, cette année encore, il n’ait pas eu sa mutation pour le continent. La pauvre ne savait pas que, s’il envoyait devant elle sa demande de changement, il écrivait huit jours plus tard pour l’annuler. Il se trouvait bien à Sein où il était autant pêcheur qu’instituteur.
On ne vit pas la chèvre et on n’en parla pas. Le bébé étant sevré et, compte tenu de la difficulté de nourrir une bête dans l’île, nous pensâmes qu’ils l’avaient mangée.. »
…..
Certains d’entre vous – Sénans – se souviennent peut-être encore de cet instituteur à la longue pèlerine noire…il mériterait, je pense, un bon complément de biographie!
