Hé oui…il y a plus d’un siècle, il y en eut des voleurs au bord de la rivière, en tous cas suffisamment pour amener un ostréiculteur – un « parqueur »- sans doute un dénommé STEPHAN, à faire construire une maison – aussi petite que possible quand même – sur l’îlot du Nohic et à embaucher un gardien, sûrement de préférence un célibataire…mais ce ne fut pas le cas…Cette maisonnette fut édifiée en 1893 et remplit son rôle de guet et d’habitation jusqu’au départ du dernier gardien en 1955.Cette construction dut poser des problèmes car des habitants du Vieux Passage s’y opposèrent, appuyés par leur Conseil municipal, l’îlot semblant être le seul lieu de la rivière où ils pouvaient trouver leur « boëtte » et leurs coquillages pour survivre…bon, bon, pas toujours aisé de contrer « un industriel » par définition puissant et pas toujours aisé de trouver les bons arguments…Quelle fut la vie quotidienne dans cette île minuscule? Nous avons la chance d’avoir deux témoignages, celui de la famille Le Lamer, nom bien porté autour de la rivière et celui de la famille Prima, récits que voici:
Témoignage de Jacky GUILLEVIC. [Etel]
« Avant cela, ma grand-mère paternelle y a habité. Son père Julien Marie LE LAMER était le gardien du parc à huîtres. Ma grand-mère est née en 1901. Petite, le matin elle allait à l’école à Belz. Son père la débarquait côté Plouhinec et elle allait à pied à l’école. Le soir, elle attendait sur la grève (parfois plusieurs heures) que son père vienne la chercher après son travail. Pour l’anecdote, le maître d’école était un prêtre et les cours étaient donnés en breton (eh oui). Puis, plus tard, à 14 ans, elle est rentrée chez Mr Duval au 4 de la rue de la Libération comme « bonne ». La famille a du quitter l’île après le décès de son père, mort de la grippe espagnole en 1918. Cela a dû être un gros changement pour elle, de passer d’une maison d’une seule pièce sans eau ni électricité placée au milieu de la rivière à une maison avec toutes les commodités au centre d’Etel. »
Témoignage de Berthe Prima, la fille du gardien du Nohic:
« Je suis retournée sur l’île du Nohic l’été dernier. Je n’y avais pas remis les pieds depuis soixante-dix ans ! Pourtant ce n’est pas si loin… Mais c’est comme ça, la vie. Le temps a passé et, jamais, je n’ai eu l’occasion de remonter sur l’îlot. Plus je m’en rapprochais, plus les souvenirs émergeaient. Les larmes me sont venues.« Je suis arrivée sur la petite île en 1935. J’avais tout juste 3 ans. J’y ai vécu quatre ans. Avec mes parents, nous avions déménagé de Nostang. Je n’avais jamais vu la mer. Mon père, Jean-Louis Le Guludec, travaillait dans une ferme. Il a accepté la proposition de Monsieur Jouanno de devenir le gardien de ses parcs à huîtres situés tout autour de l’île. Il y en a toujours d’ailleurs !« J’étais enfant unique. De temps en temps mon père allait chercher une camarade sur le continent. Parfois c’est moi qu’il conduisait chez elle. Pour jouer. Mais je n’ai pas non plus le souvenir de m’être ennuyée seule sur le Nohic. Une fois, j’ai oublié ma seule poupée dehors. Il a plu des cordes. Ses yeux en pâte à papier étaient comme fondus.« Nous habitions dans la petite maison aujourd’hui en ruine. Une seule pièce, meublée d’une table et deux bancs, une armoire et deux lits de coin. Celui de mes parents à gauche, le mien à droite. Il y avait une échelle de meunier pour grimper au grenier où mon père entreposait des pommes de terre, des cageots, etc. Et il y avait cette cheminée dont j’ai retrouvé l’empreinte. Je me vois encore près du feu.Les boîtes de pâté Hénaff pour écoper« Je me souviens aussi des grandes marées. Quand la rivière montait très haut et inondait la maison ! Nous prenions les boîtes de pâté Hénaff vides – qu’on avait gardées de côté – pour vider l’eau dehors. Eh oui ! Nous n’avions ni eau courante ni électricité. L’eau de pluie était récupérée dans une cuve et nous nous éclairions avec des lampes à carbure.« Au début ma mère, Marie-Anne, travaillait dans une conserverie en face, au Magouër. Mais après l’explosion d’une chaudière elle ne voulait plus y aller. Elle est devenue journalière chez les maraîchers de Plouhinec. Mon père la conduisait dans sa petite embarcation, une plate de 2 mètres, qu’il manœuvrait à la godille ou à la rame.« Il faisait tout avec sa barque : le plein de bois de chauffage, le plein d’alimentation, en plus des œufs de nos deux poules et de l’ail, des échalotes et des patates qu’il cultivait dans le lopin de terre, derrière la maison. Parfois, on traversait jusqu’à Étel. Pour y acheter des habits, par exemple. C’est là aussi, à la bijouterie, qu’on m’a acheté mes premières boucles d’oreilles.
Article de LA LANTERNE
HA!! CEUX DE L’AUT’CÔTÉ!!! – LA LANTERNE 4 MAI 1891
PROTESTATION FONDEE
Une commune réduite à la misère
Toute une petite commune du Morbihan, Plouhinec, se voit en ce moment sur le point d’être réduite à la misère. Ses habitants, presque tous pêcheurs, vivent exclusivement en hiver des ressources que leur fournit l’îlot du Noïc, dans la rivière, d’Etel, en coquillages de toutes sortes (palourdes, bigorneaux, etc.).Ils y trouvent, pendant l’été, L’appât qui leur est nécessaire pour amorcer leurs lignes de pêche.Or, un industriel étranger au pays, Mr Stephan, s’est avisé que l’îlot du Noïc – île,baie et vases – ferait un merveilleux emplacement pour l’installation d’un parc aux huîtres. Il en a demandé le concession et l’administration serait, parait-il, sur le point de. la lui accorder.Où les pêcheurs, de Plouhinec trouveront-ils désormais la boëtte sans laquelle ils ne peuvent pêcher?Par quoi leurs familles remplaceront-elles, en hiver, dans ce pays pauvre, qui ne produit rien, les coquillages qui constituent le plus clair de leurs moyens d’existence?C’est, paraît-il, le moindre des soucis du commissariat de l’inscription maritime qui, bien que défendeur né des droits de ces pauvres gens, n’a pas hésité à se déclarer favorable à la demande de concession.Se charge-t-il au moins de les nourrir?Toute la commune de Plouhinec, habitants et Conseil municipal, a protesté contre l’installation projetée. Nous avons sous les yeux la délibération du Conseil et une pétition signée de plus de 60 noms parmi lesquels 21 patrons de chaloupes, représentant chacune un équipage de 7 hommes.Il est vrai que de l’autre côté– on a employé des arguments plus touchants. Un habitant de Plouhinec a déclaré devant témoins qu’on lui avait offert, cent francs pour déclarer que les coquillages étaient rares dans l’anse du Nohic et que l’installation d’un parc aux huîtres ne léserait aucun pêcheur.Ces témoignages intéressés couvriront-ils le cri de détresse poussé par ces pauvres gens menacés de mourir de faim et de misère?Nous voulons espérer qu’il n’en sera pas ainsi et que les ministres des travaux publics et de la marine, auxquels nous en transmettons l’écho, voudront bien y prêter quelque attention et envoyer M. Stephan et son parc aux huîtres un peu plus loin…
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…et aujourd’hui, la maison du Nohic, nouveau bijou dans son écrin…