A quand remontent nos premiers souvenirs, comment fait-on pour « s’en souvenir » ? hé bien, par la transmission de pensée soudaine et irraisonnée, par une odeur, une vision « imagée,, une madeleine comme dirait Marcel, bref…
Ce matin, en regardant et admirant les « thoniers » – nous ne disions pas « voiliers » ou « dundées » – …seulement thonier! donc les thoniers de Georges LHERMITTE (j’ai bien dit Georges et non pas « Bernard »!😏), flash madeleine….
« Je suis très jeune – peut-être quatre ans – je suis sur le quai d’Etel avec mon père qui a trente et quelques années, à cette époque, il est mécanicien sur une « pinasse », les moteurs Bolinder n’ont plus de secrets pour lui, comment ne puis-je en être certain! Cet après-midi, il a accepté que je sois avec lui, nous avons donc pris le « passeur », le « treizour » et pour quelle raison? parce que son père Job, mon cher pépé, matelot sur le thonier Dambatao – « Allons toujours! » – va appareiller de notre village « Le Vieux Passage » pour une marée de thon, une durée de trois semaines, je suppose.
Le temps est magnifique, un petit vent de bonne augure gonfle les voiles rouge-délavé et gris-jaune, les tangons sont traditionnellement déployés, l’étrave coupe l’eau qui entre avec force dans la rivière, le bateau avance lentement, il est en train de fabriquer l’un de mes plus anciens souvenirs..
Il a été convenu – parce que les familles de l’équipage étaient, bien sûr, là – que le thonier s’approcherait du quai pour les derniers gestes d’adieu… petit à petit je distingue la petite carrure de mon géant de grand-père, plus d’1m90!, oui, cette casquette en bleu de chauffe bien enfoncée, c’est bien lui, il semble nous avoir déjà repéré, mon père, dans sa tenue de cambouis, est près de moi et scrute lui aussi pour voir son papa, les voix des femmes se font fortes, les bras se mettent à se lever, qu’ont-elles en tête à ce moment là?…
Cà y est, nous entendons le clapot, nous voyons tout l’équipage à la manœuvre, les hommes nous regardent mais ils ne sont plus déjà là…ils ont commencé leur marée et, peut-être, sont-ils gênés de démontrer ainsi leur amour pour les leurs qui sont là sur le quai désormais dans un silence comme recueilli…
Mon grand père nous distingue bien maintenant, à sa manière bien à lui, il lève son immense bras et nous sourit, gêné lui aussi…
Et voilà…le « Dambatao » est passé, il fonce vers la barre, la fameuse barre d’Etel, nous ne voyons plus que son cul plat, le patron, un Mr Le Port si je me souviens qui tient fermement la barre, il est le patron, il ne montre pas ses émotions, chacun sait que c’est « a dign mad » ainsi prononcé, « a den mad » « un brave homme »…
Mon père me serre l’épaule, il adore son père avec ces idées permanentes d’enfants de marin.. »…et s’il ne revenait pas!… »
Le soir, avant de rentrer à la maison, nous aurons rendu visite à notre chère mémé, ho! une courte visite parce que, lors des départs en mer, elle est tout chose…hà! ce qu’on aime en ces moments! »
Voilà ce dont je me souviens, un de mes premiers souvenirs qui me soient restés fidèles….je vais donc constituer un album « thoniers » histoire de rester un peu dans l’ambiance et l’émotion…et , bien entendu, vous le proposer!